Je devrais être au rendez-vous avec Agnès Poirier, à cette heure, mais ce matin, j’ai appelé Tayeb pour lui demander où se trouvait le lieu de rendez vous, il m’annonce que c’est annulé, qu’elle sera là un autre jour dans la semaine. Je n’aurais pas appelé, je me pointais à 15h, et c’était pour ma pomme. J’allais à cette rencontre, un peu le couteau entre les dents, suite à une discussion avec M. B., mais là j’irais pas  (enfin, c’est ce que je me dis) !.

Ce genre de pratique n’assouplit pas mon point de vue sur la question.

En discutant avec M. B., je me suis salement durci, il y en a vraiment marre de Paris qui déboule avec sa force de frappe, super matos, production ficelée, etc. C’est à chaque fois Paris Dakar.

Nous sommes ici dans le tiers-monde côté production audiovisuelle. Essayer de produire un documentaire, à partir d’ici, est d’une difficulté monstre, because, tout se décide à Paris. C’est difficile en général, mais en région, c’est de l’héroïsme, alors je n’ai pas envie d’accueillir les colons, en leur cirant les pompes. Même s’ils ont un talent fou.

 

Pause:

Depuis quelques jours j’ai reçu 4 mails au sujet de ce que j’écris ici. L’intérêt que ce petit cercle porte à ce que j’écris, me porte, (pas complètement, parce que je suis assez lourd à porter comme mec…). C’est pour moi une chance inouïe.

Aujourd’hui j’ai le sentiment que cette aventure peut s’arrêter avant la fin (diffusion du montage final). Tout ce que j’aurais vécu sur ce projet c’est tout bénèf! Bon, je dis ça aujourd’hui, demain, on verra, je prendrais sûrement des coups. Sévère de déprime si ça plante. J’ai besoin que chaque jour je m’y retrouve, cash! et je constate que c’est le cas.

Bon le dernier bonheur, ça a été l’intervention de Serge Pey au Bijou, pour annoncer sa présence sur la liste 100%. C’est un poète pro, je m’attendais à un truc un peu limite.

Ça a été 20 minutes de poésie-politique, comme c’est rare d’en trouver. J’ai mis un bout de son sur le Web:

 

J’ai écris sur bruits:

 

…. En face à 12h30 au Bijou, SERGE PEY, faisait une « performance » concernant son adhésion à la liste « 100% à gauche », Là c’était une autre parole. On pourra penser ce qu’on veut du bonhomme, reste que les mots faisaient mouche, qu’il y avait là un vrai espoir d’une politique autrement. J’ai dit un espoir, mais de nos jours, on se contente de si peu. Ce qui a gâché le plaisir, c’est quand ce poète radical extrême, debout, a pris la pose avec les têtes de liste devant l’affiche de la campagne. Comme d’hab, devant les journalistes, on se mets à plat ventre.

Et je me retrouve avec cette matière qui me brûle les doigts, et que j’ai envie de partager, alors j’en mets un bout sur le Web, je fais un CD audio, des cassettes VHS, pour filer aux proches.

Ca me bouffe du temps, de l’énergie, et c’est ça de moins pour mon film. Bizarre cette empathie compulsive!

Vu le sujet de Canal +, le truc vraiment très fort, c’est l’ITV de Douste qui croyait que les Zebda, étaient parisiens… Mais ça c’est du coup de pot, sans quoi, pour le reste c’est cliché et compagnie. Je ne regrette pas de l’avoir un peu fait chier, le journaliste.

Mais c’est intéressant pour moi de voir un sujet « pro » tourné sur les lieux où je tourne. Le rendu différent, dû à plein de facteur.

Au niveau technique c’est le grand angle, et la profondeur de champ maxi dû à la sensibilité de leurs capteurs, qui fait que les mouvements de caméras sont tout le temps fluides, et avec le point. L’acte de filmer avec ce genre d’outils c’est déjà une forme d’arrogance. Un côté très rentre dedans.

Simplement avec l’objectif de leur caméra, je m’achète 3 caméscopes comme le mien. Le plus difficile pour moi c’est de ne pas tenter de faire la même chose qu’eux (au niveau image), de me libérer de l’image dominante, et de faire autre chose, pas facile.

 

Je reprends les mails reçus, du moins ceux que je retrouve:

Un échange avec E. L. :

Sans remettre en cause, ton projet de base (évidemment)

Et pourquoi pas !

et même si d’un certain point de vue, on peut adhérer à ce que tu as envie de faire ressortir….. il me semble que tu pars sur des bases restrictives… par exemple, tu pars, sur les mêmes vues pour analyser un groupe tel que LCR ou les Verts ou les gens se connaissent, et sont hiérarchisés suivant des règles prédéfinies à chaque groupe… Motivé si c’est le bordel, je n’en doute pas un instant, part dans d’autres types d’enjeux de pouvoir mais lesquels ?

La question qui m’intéresse, c’est « le militantisme », et plus particulièrement son impuissance. Ce qu’ils ont tous en commun, c’est cette incapacité de gérer l’ « autre », avec sa parole, sa culture, et aussi son pathos.

Excuse-moi, je suis un jeune con, encore une fois, je ne suis peut être pas éloigné de ton point de vue… mais, est-ce que ton film ne va pas verser dans l’inévitable penchant du « c’était mieux avant » ?

Oui tu as raison, c’est un risque, mais est-ce que lorsque les choses se dégradent on ne peut pas le dire? Pour faire gros, Quand tu prends une bombe sur la gueule, tu as le droit de dire que c’était mieux avant? Or il semble bien que c’est le cas, une bombe à fait péter toute l’éducation populaire, et on en est là: « Incapacité totale de se donner un ordre du jour, et de le respecter » C’est juste un symptôme, mais la maladie, derrière elle est grosse!

Est-ce que l’incapacité pour un groupe à organiser quelque chose n’est dû au fait qu’il n’y a pas de groupe et un simplement un rassemblement d’individus, incapable d’avoir cette conscience du groupe…. ?

Oui, mais s’il n’y a pas de groupe, ou est le souci du bien commun, là tu es encore plus dur que moi!

 

Mail de PS:

« De cette impossibilité de respecter cette procédure, découle toute la ruine de la vie militante » La je trouve que tu vas un peu vite. Cette vitesse risquerait de te rendre un peu myope, vois tu. La ruine de la vie militante, n’est ce pas un pléonasme. La vie militante n’est elle pas une ruine. On s’entend bien, par militant, j’entends une activité liée au fonctionnement d’une organisation qui a pour but la réalisation de sa théorie. Par exemple une société de pêche. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’aller pêcher est une ruine.

…/…

Sans faire de la parano, fais toi une courbe pour savoir si l’attitude des « acteur » à ton égard évolue dans un sens ou dans l’autre en fonction de l’approche de l’évènement.

….

Ben oui, ça me repose la question, qu’est-ce qu’être militant. Je sais bien que je redoute les militants, je sais trop bien que ce n’est comme dirait Ben Saïd, qu’un masque autobiographique, et que lorsque je rencontre un militant, c’est ce masque là que je tente d’arracher. Et cette critique là je l’ai faite au début des années 70, donc ce n’est pas d’hier. Et je me retrouve quelque part « militant » moi-même, là ça m’inquiète, et pire que ça, les gens qui n’ont pas en eux un petit vélo qui milite m’emmerdent assez vite. Disons que je me sens militant du sens… (et plouf!).

 

Pour ce qui est de l’attitude des acteurs à mon égard, là je suis toujours sur la corde raide. Je me sens toujours « l’intrus » même s’ils m’oublient, je sais qu’à tout moment je peux être pris comme tête de turc, comme bouc émissaire… La peur fantasmatique d’être « démasqué ». Alors là l’autobiographie joue à fond, mais c’est pas le lieu.

 

Mail de J-L. G.:

Je n’ai pas assisté à tout ton tournage mais fait attention à ne pas être noyé sous le poids des rushes. J’ai l’impression aussi que tu filmes les moments, évènements, lorsqu’il y a des groupes. Je crois qu’il faut que tu t’attaches aussi aux individus (peut-être suivre Salah ou Pailler sur une journée, quelques autres militants, Pey ?

….

Pour ce qui est des rushes, c’est vrai que je pars très mal, j’en suis à 22h, et j’ai encore 3 mois de tournage devant moi. Sachant que vers la fin, ça va tourner beaucoup, et puis qu’après il y a les ITV. Mais bon, tant pis, j’en suis à me dire que je vais faire un film de 12heures, visionnable sur une année 1 heure par mois.

Mais, je ne vois pas comment faire autrement.

Mais ça va être terrible, va falloir que je fonde une ONG « Sauvez Mes Rushes ! ». Pour ce qui est de suivre les individus, ça ne m’intéresse pas trop. Ce qui m’intéresse c’est les individus dans leurs groupes militants respectifs. Je commence à repérer des têtes que je filme plus volontairement, pour différentes raisons (perverses parfois…), et au fur et à mesure je vais voir mes personnages émerger… Et après le contrechamp ça sera les Itv au calme, avec le recul, voilà l’hypothèse de travail!

Bon j’arrête là, je fatigue (grippe)!

 

 

4/12/00